PS, SP.A, MR, Ecolo, Open VLD avaient pourtant promis cette avancée, mais plus attachés aux apparats du pouvoir qu’aux droits de leurs électrices, ils ont rompu leur engagement pour une place au gouvernement. Faute d’une conviction suffisamment affirmée, ces partis sont les complices du monopole de vues exercés par CD&V et cdH – à orientation catholique - et Vlaams Belang et NVA – nationalistes et anti-féministes - sur l’avortement. Ce schéma se confirme sur un plan international puisque dans la grande majorité des cas, c’est dans les pays dirigés par des nationalistes et/ou des fondamentalistes religieux que l’accès à l’avortement est le plus compliqué. Cette réalité doit nous interpeler puisque si l’on veut que l’accès à l’avortement appartienne enfin aux femmes, il faut accepter que l’avortement soit l’affaire de tou.te.s : sous peine de le laisser aux mains des extrêmes qui refuseront toujours aux femmes leur liberté de choix.
Un enfant si je veux, quand je veux ! Notre corps nous appartient !
Petit à petit au cours du 20e siècle, les mouvements féministes ont porté dans la société leurs revendications pour un accès légal à l’avortement [1] :
- Droit à la maternité choisie : « Un enfant si je veux, quand je veux ! ». Les féministes soulignent la responsabilité que représente un enfant et dès lors le choix qui en découle d’élever ou non un enfant au moment choisi.
- Droit à la libre disposition du corps : « Notre corps nous appartient ! » Par ce slogan, les féministes font remarquer qu’un foetus fait partie intégrante du corps d’une femme enceinte et que la grossesse est un processus contraignant qui constitue une atteinte à l’intégrité corporelle : dès lors, le choix de leurs corps appartient aux femmes.
Ces revendications se fondent sur l’égalité entre les femmes et les hommes : l’accès à l’avortement est considéré comme une des conditions pour l’atteindre. Les féministes considèrent à juste titre que les hommes ne se sont jamais vu ôter le contrôle de leur corps ou de leur procréation. De plus, ce n’est non plus pas à eux qu’incombent les principales missions éducatives de l’enfant : ils sont dépourvus de cette responsabilité à un niveau social [2].
Autant de griefs légitimes qui conduiront, après moultes débats et complications [3] à l’adoption de la loi du 3 avril 1990 autorisant sous certaines conditions l’avortement.
Loi du 3 avril 1990 : statut quo
Actuellement, c’est toujours cette loi qui régit la question de l’accès à l’avortement, bien que modifiée par la loi du 15 octobre 2018 [4]. Des sanctions pénales restent cependant prévues tant à l’égard des femmes que des médecins (art. 3 de la loi de 2018), tendant à rendre tabou cet acte médical. D’autant que pendant longtemps, les médecins devaient se débrouiller pour bénéficier d’une formation sur l’avortement : l’ULB est depuis très récemment l’unique université belge où elle est comprise dans la formation initiale des médecins généralistes. Cela signifie que se côtoient plusieurs générations de médecins qui, pour la grande majorité, ne sont pas formé.e.s pour pratiquer l’avortement. Les possibilités pour les femmes d’accéder à leur droit s’amenuisent alors. Enfin, il est particulièrement contestable qu’hormis les informations contenues dans la loi, l’Etat ne fournit aucune réponse pratique sur l’avortement aux citoyennes : cette charge pèse sur les épaules des associations comme le GACEHPA et les centres de planning familial qui pratiquent l’IVG.
Proposition du 20 décembre 2019 : vers une réelle écoute des besoins des femmes ?
Les féministes n’ont jamais cessé de critiquer la loi du 3 avril 1990. Depuis, les revendications pour conformer ce texte aux besoins réels des femmes se sont multipliées [5]. La loi du 15 octobre 2018 n’a apporté que des changements symboliques et ne consacre toujours pas pour les femmes de droit réel à la disposition de leurs corps et au droit à la maternité choisie [6]. En effet, des sanctions pénales persistent et les conditions d’accès n’ont toujours pas été assouplies. Ces griefs ont fini par trouver un écho politique : PS, Ecolo-Groen, PTB-PVDA, Open VLD, DéFI, SP.A et MR ont ensemble édicté une nouvelle proposition de loi visant la dépénalisation de l’avortement et l’élargissement des conditions d’accès.
Les neuf partis ont donc coopéré dans une large alliance autour d’un texte commun [7], ce qui est inhabituel dans notre pays et témoigne de leur capacité (quand ils le veulent) à écouter les associations féministes de terrain et les besoins rencontrés. Le constat n’est pas le même concernant la NVA, le Vlaams Belang, le CD&V et le cdH qui s’opposent depuis la première heure au respect du choix des femmes au nom de convictions catholiques et/ou nationalistes contestables. Au-delà de ce désaccord politique sur lequel nous reviendrons, la proposition issue de l’alliance à neuf contient plusieurs améliorations, même si elle ne met pas en pratique toutes les revendications féministes :
- la suppression des sanctions pénales : en cas de complication impliquant la santé de la femme enceinte, il sera question d’erreur médicale tombant sous le droit commun [8]
- l’allongement du délai passant de 12 à 18 semaines. Actuellement, 500 femmes belges avorteraient à l’étranger chaque année au motif du dépassement de délai [9]. Alors a fortiori en période de Covid-19 et de voyages restreints, cette mesure parait plus que jamais nécessaire [10]
- la réduction du délai de réflexion de 6 jours à 48h.
Et maintenant ?
A l’heure actuelle, le texte n’a toujours pas été adopté : la négociation de l’accord Vivaldi a semble-t-il causé des remous dans les engagements pris par certain.e.s. Certes, la proposition bénéficiait d’une majorité, mais le CD&V - historiquement catholique - a joué de sa force convoitée dans la formation d’un gouvernement pour s’opposer à l’avancement de la proposition de loi. Dès lors, les autres partis associés à Vivaldi (PS, SP.A, MR, Ecolo-Groen, Open VLD) ont cédé à ce chantage, et l’accord gouvernemental a annoncé un report de vote de la proposition de loi, renvoyée au préalable en commission scientifique [11]. Une loi, rappelons-le, qui a été discutée en long et en large dans toutes les commissions parlementaires nécessaires et qui réunit une majorité des voix au Parlement [12].
Le point dans le monde : où en est l’avortement ?
Au niveau international, il est intéressant de souligner que les opposants à l’avortement, les anti-choix appartiennent pour la grande majorité à une alliance entre fondamentalistes religieux (souvent chrétien.ne.s) et nationalistes/fascistes. Ces deux mouvements se sont unis autour d’une morale sexuelle et l’instrumentalisation des femmes pour reproduire la nation. Ainsi, on voit apparaitre toutes sortes d’initiatives anti-libertaires dénonçant tout azimut l’avortement, les études de genre, la Convention d’Istanbul, les droits LGBTQI+... [13]
Des reculs...
C’est notamment le cas d’Agenda Europe, qui se présente comme un site d’informations destiné à défendre ce qu’ils et elles nomment la dignité humaine [14] . On y trouve un florilège d’amalgames, de raccourcis douteux et de démonstrations scabreuses tendant à convaincre chaque lecteur.rice que les droits humains – tels qu’ils sont et évoluent aujourd’hui - sont un danger pour l’identité européenne. De telles idées trouvent leurs racines dans un dangereux cocktail mêlant impératifs religieux et nationalistes/fascistes. Il n’est donc pas étonnant que ce soit dans des pays où les fondamentalismes chrétiens ont trouvé plus d’écho que se nourrissent les plus fortes résistances aux appels de plus en plus forts des femmes à disposer librement de leurs corps [15] .
En Pologne d’abord, le très controversé Tribunal constitutionnel [16] a pratiquement interdit l’accès à l’avortement, déjà sérieusement restreint. Cet arrêt a provoqué des manifestations d’une ampleur inédite depuis la chute du communisme. Portée principalement par des femmes, cette rébellion populaire a conduit à la suspension de la décision. Klementyna Suchanow, co-fondatrice du mouvement Strajk Kobiet (Grève des femmes), a confié à TV5-Monde que « les questions de droits des femmes sont en première ligne, mais aussi celles liées au marché du travail, à la pandémie, à la fascisation de la vie publique et politique ». Les mobilisations pour défendre l’avortement avait déjà été considérables en 2016, lorsque le gouvernement menaçait déjà de l’interdire totalement. Mais entre-temps, les mouvements féministes ont pris du galon en associant leurs revendications aux aspirations progressistes émergeantes. Elles se placent progressivement en tête d’une opposition très forte et diverse capable de faire basculer tout un système. Respect.
La Slovaquie semble également succomber à des penchants nationalistes. Le gouvernement de centre-droite a en effet proposé une loi visant à durcir l’accès à l’avortement : il serait toujours autorisé sur base volontaire dans un délai de 12 semaines mais sous réserve de justifications et de documents supplémentaires. Les mouvements féministes slovaques se préparent à la révolte, puisqu’il faut s’attendre à ce que cette proposition soit adoptée. Adriana Lamackova du Center for Reproductive Rights s’est exprimée à Reuters : « exiger des femmes qui souhaitent avorter qu’elles motivent leur décision - qui est souvent une affaire très personnelle et privée - pourrait dissuader les femmes de rechercher des soins dans le système de santé officiel ».
... et du progrès
En Corée du Sud, l’avortement est au centre des débats puisque le gouvernement a annoncé sa volonté de revenir sur l’interdiction générale de 1953. En 2019, la Cour constitutionnelle sud-coréenne avait jugé cette prohibition illégale. Ainsi, le gouvernement souhaite permettre l’accès à l’avortement jusqu’à la 14e semaine de grossesse. Néanmoins, les mouvements féministes ne sont pas satisfaits par cette loi pour une raison qui ne nous est pas méconnue : des sanctions pénales sont assorties au non-respect des conditions prescrites tant pour les femmes que pour le personnel médical [17]. Ces critiques semblent avoir été écoutées puisque quelques jours après le dépôt de la proposition initiale, le gouvernement a laissé entendre qu’il était prêt à en assouplir les termes.
Notre tour du monde se termine en Argentine, dernier pays en date à entreprendre des changements législatifs liés à l’avortement. C’était une promesse de campagne : le président de centre-gauche Alberto Fernandez s’était engagé à légaliser l’avortement dans un pays majoritairement catholique et divisé par la question. L’avortement y demeure tabou et restreint : le Sénat a rejeté en 2018 une proposition de loi visant à élargir son accès. Mais les chiffres ne mentent pas : entre 370 000 et 520 000 avortements clandestins y seraient pratiqués chaque année, avec tous les risques sanitaires compris pour les femmes (surtout les plus démunies) [18]. Finalement, après 20 ans de combat acharné, les féministes ont gagné la bataille : 2020 s’est heureusement clôturé par un vote positif du Parlement. L’Argentine est devenu le premier grand pays de l’Amérique latine à autoriser l’avortement dans un délai maximum de 14 semaines. De quoi gonfler nos cœurs d’espoirs pour 2021…